Pourquoi n'a-t-on jamais la chair de poule sur le visage?

"Vous l'avez remarqué par grand froid. Le bec de gaz gèle, le vieillard meurt, l'enfant ukrainien boit sa vodka. Les dents claquent, l'organisme frissonne sous la chair de poule, mais le visage reste lisse. Violacé peut-être, mais lisse.
Pourquoi n'avons-nous jamais de chair de poule sur le visage ?
Ce que nous appelons "chair de poule" est un réflexe de défense hérité des animaux à sang froid. Un moyen pour l'organisme de lutter contre les pertes de calories.
Chez les mammifères et les oiseaux, cette horripilation - au sens étymologique du terme - se révèle une arme très efficace. Les poils ou les plumes se raidissent et enferment ainsi une quantité d'air qui se comporte comme un isolant.
Hélas ! depuis Cro-Magnon, l'homme a perdu la quasi-totalité des poils qui composaient sa fourure. Chez nous, point de paillasson thermique. Nous n'avons conservé face aux éléments déchaînés que quelques touffes éparses et chétives, et une multitude de monticules de peau supposés soutenir et dresser un crin disparu depuis des millénaires.
Cependant, l'évolution a épargné nos petits muscles souscutanés (les muscles arrecteurs), toujours capables de se raidir en cas de blizzard. Cette contraction produit un travail suffisant pour accroître la température de l'épiderme. Donc nous réchauffer, bien que de façon passagère.
Corollaire : la chair de poule ne peut survenir que dans les régions du corps couvertes de poils. Autant dire presque partout. Car même notre dos, apparemment lisse, est en fait parsemé d'innombrables poils microscopiques et transparents, vestiges d'une splendeur déchue.
Mais jamais le visage. Pourquoi cette exception ?
Car il en est ainsi depuis la préhistoire. Certaines zones faciales ont de tout temps été exemptes de systèmes pileux : le front, les pommettes, le pourtour des yeux et du nez.
Comme chez l'homo sapiens actuel, cette caractéristique se retrouve chez nos plus lointains aïeux : l'australopithèque, le ramapithèque, y compris le primate arboricole, vieux de plus de 25 millions d'années. Notre plus proche cousin, le chimpanzé, dont le patrimoine génétique ne diffère du nôtre qu'à 1%, a lui ausi une partie du visage glabre.
résumons-nous. La chair de poule dresse les poils, ou ce qu'il en reste. Pas de poils sur la figure : donc pas de chair de poule. CQFD.
Les épicuriens objecteront qu'il existe des régions du corps célèbres - et célébrées - pour leur pilosité, et où pourtant nous ne connaissons jamais la chair de poule.
Certes. C'est peut-être que, dans ces coins là, il fait rarement froid.
Jusqu'à preuve du contraire..."

VANDEL., P., Pourquoi, Paris, Lattès, 1993